La Ciotat

Comparer la biodiversité des ports avec celle des réserves marines avec l'ADN environnemental

Une équipe française impliquant des chercheurs de l’École Pratique des Hautes Études - PSL (EPHE - PSL) a mis en évidence par ADN environnemental (ADNe) une biodiversité en poissons dans les ports aussi élevée qu’en milieu naturel côtier durant le confinement.

La biodiversité dans les ports reste mal connue malgré les travaux récents montrant une utilité des ports aménagés au cours du cycle de vie de certains organismes. Une équipe française impliquant des chercheurs de l’École Pratique des Hautes Études - PSL (EPHE - PSL) et de l’Université de Montpellier ainsi que les entreprises SPYGEN, Ecocean et Andromède Océanologie, a mis en évidence par ADN environnemental (ADNe), avec le soutien de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, une biodiversité en poissons dans les ports aussi élevée qu’en milieu naturel côtier durant le confinement. Cependant les mêmes espèces de poissons ont tendance à se retrouver dans tous les ports, alors que la composition en espèces en dehors des ports est plus hétérogène, suggérant une homogénéisation de la biodiversité dans les ports. Cet article a été publié dans la revue Conservation Letters, le 25 janvier 2024.

Biodiversité des poissons dans 7 ports méditerranéens

Les zones marines côtières offrent une grande diversité d’habitats qui sont des zones refuges pour de nombreuses espèces, ainsi que des nurseries essentielles pour l’installation et la croissance des juvéniles, particulièrement ceux des poissons commerciaux. Cette diversité en espèces et en habitats contribue pour 90% aux ressources marines exploitées. Mais cette diversité est menacée par l’artificialisation croissante des côtes avec 1/3 de la population humaine concentrée sur les côtes. Les ports en particulier pourraient avoir un effet délétère sur la biodiversité. Ils induisent en effet une homogénéisation de l’habitat côtier nécessaire à l’installation de nombreuses espèces, dont les juvéniles de poissons, et une disparition des anfractuosités naturelles permettant aux jeunes stades de vie d’échapper à la prédation. Cependant ils fournissent des abris contre les conditions défavorables (vagues, tempêtes, températures) qui pourraient avoir un effet bénéfique sur certaines espèces à certains stades de vie. L’ingénierie écologique dans les ports permet de recréer une partie de l’habitat perdu par l’artificialisation, et de nombreuses études ont déjà montré l’efficacité de ces mesures pour les jeunes poissons. La biodiversité qu’abrite les ports et le rôle écologique des habitats artificiels sont des questions essentielles pour une bonne gestion de ces écosystèmes anthropisés. En analysant les traces d’ADN laissées par les espèces dans leur milieu de vie, la technologie de l’ADNe apporte une nouvelle contribution à la connaissance de la biodiversité des milieux portuaires

À partir du séquençage de l’ADN contenu dans 28 échantillons d’eau (ADNe) collectés dans 7 ports en mer méditerranée et de l’identification des espèces grâce aux séquences présentes dans des bases de référence, les chercheurs ont détecté 122 espèces de poissons différentes présentes dans les ports avec en moyenne 65 espèces par port. Cette richesse en espèces augmente avec le substrat rocheux (ex : port de La Ciotat) par rapport au substrat sableux, et la surface du port (Cap d’Agde).

 

Comparaison de la biodiversité des ports avec celle des milieux naturels

Les chercheurs ont ensuite comparé cette biodiversité dans les ports à celle présente dans 10 sites en dehors des ports (parmi lesquels 5 ont été prélevés dans des réserves marines avant et pendant le confinement strict du printemps 2020). Ils ont identifié 27 espèces uniques aux ports, en particulier des espèces de petites tailles et peu mobiles telles que les gobies et blennies. Le nombre d’espèces moyen par échantillon dans les ports est similaire à celui des milieux naturels côtiers en dehors des ports durant le confinement, et supérieur au nombre d’espèces des zones pêchées en dehors de la période de confinement. Par contre, la variation de la composition en espèces entre les ports est plus faible que celle entre les milieux naturels, suggérant une homogénéisation de la biodiversité dans les ports.

 

Pourquoi une telle biodiversité dans les ports ?

Cette biodiversité dans les ports reste élevée même quand on retire les 26 espèces pouvant résulter de contaminations issues de l’ADN transporté par les exutoires urbains et les rejets des marchés aux poissons ou des pêcheries, du nettoyage des engins de pêche ou de la consommation de poissons sur les bateaux de plaisance à quai. Cette forte biodiversité en poissons pourrait provenir en partie de l’usage par des espèces côtières de ces endroits artificiels aménagés au cours de leur cycle de vie dans lesquels les jeunes recrues vont tenter de s’installer. L’homogénéisation plus grande de la diversité entre les ports pourrait quant à elle s’expliquer par la redondance des habitats entre les ports (substrat, faible profondeur, manque de structuration tridimensionnelle, fort trafic de bateaux etc..). Ces travaux sur la diversité dans les ports se poursuivent dans le cadre du projet BiodivMed, soutenu par l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, et des résultats complémentaires sur plus de sites permettront de compléter ces premiers résultats.

 

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Contact scientifique

Stéphanie Manel (EPHE - PSL).  

Stéphanie Manel, directrice d’études à l’EPHE - PSL, s’intéresse à la diversité génétique des poissons marins. Depuis 2020, elle dirige l’équipe « Biogéographie Écologie des vertébrés » du Centre d’Écologie Fonctionnelle et Évolutive à Montpellier.